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Le Français des relations internationales

d'influence entre les différentes institutions européennes : Parlement, Commission européenne et Conseil des ministres.

Principes

Les documents produits par la Commission (notamment les Livres Blancs) et les traités énoncent certains principes. Ils président à beaucoup de décisions. L'accroissement de l'Union européenne fortifie la paix entre les nations membres. Certains domaines (dont l'économie) sont mieux gérés au niveau communautaire plutôt que national. Dans ces domaines les dossiers sont préparés par des techniciens (de la Commission assistés par des groupes de pression). L'économie est optimale dans une « économie de marché » où est permise la « concurrence libre et non faussée ». Les entraves à la concurrence et au commerce sont des exceptions qu'il s'agit de réduire.

L'Union européenne repose sur trois principes de liberté :

la liberté économique avec la libre circulation des biens ; le transport de marchandises se fait sans paiement de droit de douane à l'intérieur de l'Union ;

la liberté individuelle avec la libre circulation des personnes ; tout citoyen d'un pays de l'Union a la possibilité de s'installer et de travailler dans le pays de son choix ;

la liberté financière avec la libre circulation des capitaux ; tout citoyen ou entreprise d'un pays de l'Union peu ouvrir un compte bancaire dans le pays de son choix.

Deux principes guident les processus décisionnels de l'Union européenne depuis le traité UE (1992) : le principe de subsidiarité et le principe de proportionnalité. Ces principes font l'objet de protocoles annexés au traité d'Amsterdam (1997).

La Commission européenne se voit confiée droit d'initiative sur la préparation de la plupart des dossiers concernant le premier pilier de l'Union européenne (PAC, euro, ...), et partage ce droit avec les États membres sur les deux autres piliers.

Le Conseil européen attribue à chacun des états membres un nombre de voix (redéfinis en 2001 par le Traité de Nice), qui détermine l'adoption ou non des lois votées. La constitution européenne, repoussée par la France par référendum en 2005, prévoyait de modifier ce système de voix par un système de double majorité qualifiée basé sur la population de chaque État membre (renforçant le pouvoir de la France).

Seul organe directement élu par les citoyens de l'Union, le Parlement européen a acquis au cours de l'histoire récente un poids de plus en plus important : simple organe consultatif au départ, il a acquis un réel pouvoir de codécision à parité avec le Conseil des ministres pour de nombreux dossiers. En 2004, il a même pu influencer la nomination de la Commission européenne. Sa représentativité reste cependant handicapée par les taux d'abstention aux élections des députés européens généralement supérieurs à ceux des élections nationales.

L'activité prélégislative de l'Union européenne fait en principe l'objet d'un système d'alerte du Parlement français, selon la procédure de l'article 88-4 de la Constitution de 1958.

Contestation

L'Union européenne est parfois décriée pour son caractère jugé insuffisamment démocratique, ses opposants la qualifiant de « technocratie ». Certains partis souverainistes s'opposent à la construction européenne, ou la critiquent sur cette base.

Un rapport (sept. 2006) de Bernard Carayon montre qu'en pratique le contrôle politique n'existe pas, en dehors de celui que peuvent exercer les parlementaires européens. Il n'y a pas de structure formelle de concertation entre les parlementaires européens et les parlementaires nationaux. Ce rapport préconise que le Conseil d'État soit saisi quant au contenu juridique des textes en cours d'élaboration, au titre de sa fonction de conseil juridique du gouvernement.

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Coopérations particulières

Certains pays de l'Union européenne se sont groupés afin d'avancer ensemble sur des projets communs auxquels d'autres pays de l'Union ne souhaitent pas participer. Ces projets portent le nom de coopérations renforcées, et sont clairement définis et soumis à conditions par la Constitution en voie de ratification.

Parmi les projets qui ne concernent pas tous les membres de l'Union, on trouve : l'euro (c'est cependant la monnaie commune de l'Union et seuls deux États membres ont obtenu une clause dite d'opting-out), Europol (collaboration policière), l'espace Schengen (organisation de la libre circulation des biens et des personnes), le mécanisme de taux de change européen, etc. Il existe en outre des institutions qui fonctionnent en dehors du cadre de l'Union, comme l'Agence spatiale européenne.

Certains considèrent, en pratiquant de la politique-fiction, que l'échec éventuel de la ratification du traité constitutionnel lancerait une nouvelle vague de coopérations renforcées entre pays désireux d'aller de l'avant. Parmi les pays cités pour d'éventuelles coopérations plus étroites, on cite en général la France, l'Allemagne, les pays du Benelux, l'Italie…

Les relations avec les pays européens non-membres

L’Espace économique européen (EEE), créé en 1994, associe les États membres de l’UE à trois pays de l’AELE (Islande, Liechtenstein, Norvège). La Suisse, un autre membre de l'AELE, a refusé cette adhésion après votation populaire. Cet espace a ouvert le marché européen à ces trois pays et les prépare à une éventuelle adhésion (que la Norvège a refusée deux fois par référendum, en 1972 et en 1994).

L'Union européenne a conclu des accords bilatéraux avec la Suisse et des accords avec les petits pays (Andorre, Monaco, Saint-Marin, Vatican mais aussi des territoires comme l'île de Man, Jersey, Guernesey, les îles Féroé).

Pour reprendre la formule de Jean Monnet, l'Europe ne s'est pas faite en un jour, ou en un an, c'est une vieille idée qui a mis des années à se concrétiser.

Relations extérieures de l'Union Européenne

L'Union européenne s'est doté progressivement de mécanismes communs d'action avec d'autres pays et continents, ainsi qu'au sein des institutions internationales. Ainsi les pays européens s'expriment-ils d'une seule voix dans de nombreuses circonstances dans les débats aux Nations Unies et de façon permanente au sein de l'OMC.

Un des aspects originaux de ces relations extérieures est l'histoire de longue durée nouée avec les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), dont beaucoup furent des colonies de pays européens (Convention de Lomé, Accord de Cotonou, Accords de partenariat économique en cours de négociation).

Économie de l'Union européenne

L'Union européenne est la première puissance économique mondiale en 2006 avec 29,89 % du PIB mondial (Banque Mondiale, Total GDP 2006). Elle est ainsi la première puissance agricole (1er importateur mondial et 2e exportateur) avec les États-Unis, la première puissance de services mondiale et la première puissance industrielle du monde.

Budget et programmes d’actions de l'Union européenne

Chaque pays participe au budget européen, et reçoit des aides de l'Union européenne en fonction de sa situation économique et de la richesse de ses habitants.

C'est la commission de Romano Prodi qui proposa le budget pour 2007-2013 (7 ans), de 1 025 milliards d’euros - soit 1,24 % du PIB de l'UE -, au Conseil européen, qui refuse. En juin 2005, Jean-Claude Juncker et la présidence luxembourgeoise propose un compromis à 871 milliards soit 1,06 % du PIB, 20 pays acceptent, mais le Royaume-Uni pose son veto pour protéger son « rabais britannique » et souligner le coût de la PAC. En décembre 2005, le Royaume-Uni propose un budget de 846,7 milliards d'euros, soit 1,03 %

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du PIB de l'Europe des 25. Dans la nuit du 16-17 décembre, un accord médian est trouvé avec 862,3 Mds d'€ soit 1,045 % du PIB.

Les tensions successives qui ont fait descendre la proposition de 1 025 milliards (experts de la commission) aux 862,3 Mds de l'accord final, poussé par les britanniques, semble finalement arranger tous les pays « riches » de l'UE (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni) qui construisent de leur participation financière la plus grosse partie du budget européen. Les pays lésés étant les 10 nouveaux pays de l'Est, qui ont dû admettre de voir leurs espérances d'aide à la baisse : aucun de ces 10 pays ne recevant une aide semblable a celles accordées à l'Irlande (388,7 €/h.), le Portugal (300,4 €/h.), l'Espagne (200,1 €/h.) ou la Grèce (378,5 €/h.). Le maximum allant aux Lituaniens, 105,5 €/h., et aux Maltais, 112,5 €/h., plus coutumièrement autour des 37,3 €/h que reçoivent les Polonais. L'Union européenne a de nombreux programmes d'actions annuels ou pluriannuels dans de nombreux domaines, bénéficiant chacun d'un budget communautaire. C'est ainsi que 2004 est l'année du sport.

Politiques de l'emploi de l'UE

Le traité de Rome, fondateur de la Communauté économique européenne (CEE) fixait comme objectifs la recherche d'un « Progrès économique et social équilibré et durable » (titre premier, article B) et la mise en place d'une « Collaboration étroite » entre les États membres quant aux questions relatives à l'emploi (titre III, chapitre premier, article 118). Il n’a pas prévu, en revanche, d'instrument spécifique de lutte contre le chômage, certainement parce que la faiblesse de son niveau ne le justifiait pas.

Le but poursuivi par les autorités européennes est donc avant tout, dans le cadre propice du Marché unique, de restaurer la compétitivité des entreprises et de résorber les déséquilibres entre offre et demande de main-d'œuvre sur le marché du travail. Elles recommandent une plus grande flexibilité sur les marchés du travail des États membres, l’ajustement des salaires réels suivant la productivité du travail, une remise en question des mécanismes d'indemnisation du chômage, ainsi qu'une modernisation des systèmes de formation, que les Conseils européens récemment tenus ont fortement encouragés.

Le marché unique, en permettant la levée des obstacles non tarifaires aux échanges commerciaux intracommunautaires, devait favoriser une relance de la croissance économique et, partant, une amélioration de la situation de l’emploi. L’argumentation était fondée sur le rapport qui évaluait, inversement, le coût de la « Non-Europe ».

Avec le livre blanc, pour la première fois l’emploi devient un élément de préoccupation pour la Commission européenne. À travers ce document, elle identifie les facteurs de chômage en Europe et recense, en regard, une liste de recommandation.

Lors du conseil européen d’Essen, deux principes ont été fixé : la recherche d’une stratégie européenne pour l’emploi et la fixation de priorités indicatives regroupées dans un plan d’action pour l’emploi. Cette « stratégie » d’Essen a été développée par les conseils européens de Madrid (1995) et de Dublin (1996).

L’Union européenne dispose de cinq fonds structurels, dont les répercussions sur l’emploi sont plus ou moins directes : le Fonds européen de développement régional (FEDER) ; le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) ; l’Instrument financier d'orientation de la pêche (IFOP) ; le Fonds de cohésion ; le Fonds social européen (FSE) qui, des quatre fonds, est le seul à avoir été instauré pour lutter contre le chômage. Crée en 1958, le Fonds social européen, est destiné à promouvoir les facilités d'emploi et la mobilité géographique et professionnelle des travailleurs, ainsi qu'à faciliter l'adaptation aux mutations industrielles et à l'évolution des systèmes de production, notamment par la formation et la reconversion professionnelles.

Le traité d’Amsterdam marque un changement profond dans l’approche communautaire des questions de l’emploi et du chômage. Pour la première fois, les questions de l’emploi se voient accorder une importance équivalente à celle des autres

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aspects économiques de l’Union : un titre exclusivement consacré à l’emploi est intégré dans le traité. La stratégie européenne pour l’emploi n’est pas une politique communautaire, elle encourage la coopération en matière d’emploi par le biais de « bonnes pratiques » qui constituent des instruments d’évaluation qualitative et d’influence réciproque des États les uns envers les autres ; elle favorise la convergence en fixant des objectifs communs.

En novembre 1997, le sommet extraordinaire sur l’emploi de Luxembourg concrétise les orientations du traité d’Amsterdam, au sein de la stratégie européenne de l’emploi (SEE). Les États membres sont invités à reclasser leurs politiques existantes au sein des quatre piliers de la SEE : favoriser l’employabilité (la capacité d’insertion professionnelle) ; développer l’esprit d’entreprise ; encourager la capacité d’adaptation des entreprises et de leurs travailleurs ; renforcer les politiques d’égalité des chances.

Pour la première fois dans l’histoire de la construction européenne, les États membres se fixent des objectifs chiffrés communs pour réduire le chômage. Chaque gouvernement conserve la responsabilité de sa politique de l’emploi.

Les partenaires sociaux participeront à toutes ces étapes d’analyse et de formulation, une réunion préparatoire se tiendra tous les semestres avant la réunion du Conseil pour procéder à un échange de vue sur la mise en œuvre de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989.

Le cycle annuel de mise en œuvre coordonnée et de suivi des politiques nationales de l’emploi, connu sous le nom de processus de Luxembourg, comprend un programme annuel adaptable de planification, de suivi, d’analyse et de réajustement.

Au processus de Luxembourg se sont ajoutés les processus de Cardiff (approche globale des réformes structurelles des marchés des biens, services et capitaux) et le processus de Cologne (respect de l’indépendance et de l’autonomie de tous les intervenants des négociations salariales et des politiques monétaires), dont l’intégration doit, selon la Commission, renforcer la stratégie pour l’emploi en vue de faire aboutir les réformes et modifications structurelles, gages d’un esprit d’entreprise compétitif et de la promotion du potentiel d’emplois encore latent dans de nombreux secteurs et pays de l’Union européenne. Le niveau d’emploi n’est plus considéré comme la résultante de l’élimination des dysfonctionnements et des rigidités des marchés (travail, bien, capitaux), mais l’intégration des réformes sur ces trois marchés est, pour les autorités européennes, la condition de l’amélioration de la situation de l’emploi dans les États membres de l’Union européenne.

Les quatre piliers fondamentaux de la Stratégie européenne de l’emploi se déclinent sous forme de lignes directrices pour l’emploi, qui forment la transposition concrète dans les politiques nationales des objectifs communs définis au niveau communautaire. Elles sont adoptées par le Conseil sur proposition de la commission et structurent les Plans nationaux d’action pour l’emploi (PNAE) élaborés par chaque État membre, selon le principe de subsidiarité.

Le Plan national d’action pour l’emploi (PNAE) est un document présenté chaque année par tous les États membres. Il répond aux objections et/ou remarques adressées à l’État membre sur la base du Plan de l’année précédente. L’ensemble des PNAE fait l’objet d’un examen annuel exprimé dans le « Rapport conjoint sur l’emploi », qui formule des recommandations aux États-membres – initialement sous forme globale, puis État par État.

Conseil de l'Europe, 2008

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Document 2 :

Les États membres de l'Union européenne :

(source Conseil de l'Europe, 2007)

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Document 3 :

Quelles frontières et quel projet pour l’Union ?

Comme en 1954, lorsque le projet, d’origine française, de Communauté européenne de défense (CED) avait été rejeté par le Parlement, l’initiative, elle aussi française et tout aussi ambitieuse, d’un traité constitutionnel européen (TCE) a été récusée par le suffrage universel en 2005. Le parallélisme des deux épisodes se confirmera-t-il ? Le refus de 1954 avait été suivi, trois ans plus tard, de la signature des deux traités de Rome, l’un instituant la Communauté économique européenne (CEE), l’autre la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom). Celui de 2005 débouchera-t-il sur un nouveau traité institutionnel à vocation de refondation, d’ici trois ans ?

Le « non » français, renforcé par celui des Néerlandais, marque une bifurcation dans le cours du projet européen. La déclaration du 25 mars 2007 à Berlin, célébrant les succès avérés d’un processus demi-séculaire, en a pris acte, qui insiste sur des bases communes rénovées, évite les mots lourds de désaccords – tels qu’élargissement ou Constitution –, mais fixe une échéance : l’année 2009, où se tiendront les élections du Parlement européen, suivies de la formation d’une nouvelle Commission.

Dans le « non » français, ce qui fut récusé n’était pas les innovations institutionnelles proposées, mais l’orientation prise par l’Union européenne dans le champ économique, que l’on retrouvait dans les dispositions légales successives rassemblées dans la partie III du projet de traité, et le sentiment d’une fuite en avant mal maîtrisée de son extension territoriale. Le traité de Maastricht, approuvé en 1992 par une courte majorité en France, avait créé une monnaie unique et confirmé l’ancrage de l’Allemagne réunifiée dans le système européen.

En 2005, la conjoncture géopolitique était différente. A l’échelle du continent, un élargissement à dix nouveaux Etats membres en mai 2004, sans doute justifié au regard de l’histoire, mais n’ayant fait l’objet d’aucune énonciation politique intelligible : une décision sans parole publique a créé la perception d’une « histoire sans parole ». A l’échelle de l’Union élargie, la fracture imposée par le choix américain de l’emploi de la force en Irak a pesé sur le projet de TCE : son objet dérivé était bien de réconcilier des Européens à la fois désunis et traumatisés par leur désaccord. Enfin, à l’échelle planétaire, la prise de conscience, tardive, que la Chine (depuis 1978) puis l’Inde (depuis 1991), qui ne sont pas seulement des pays mais des « mondes » émergents, entraient dans le jeu du marché global avec leurs avantages comparatifs (compétences et salaires), leurs ambitions et, plus banalement, la volonté stratégique des deux Etats de sortir du sous-développement et de la pauvreté. La concurrence ne venait plus, cette fois, de quelques avant-postes comme Singapour, Hongkong et Taïwan, au potentiel démographique réduit.

Il s’agit bien d’une mutation fondamentale provoquant une nouvelle grande accélération de l’histoire, et affectant les situations acquises dans les Etats sociaux européens. Les électeurs français avaient bien perçu ce triple changement d’échelle, lourd de conséquences et impliquant la reformulation en profondeur du projet européen. Car comment s’affirmer comme sujet politique (1), via l’approbation d’un texte présenté comme constituant, dans une situation marquée par l’insécurité économique et géopolitique ?

La perception d’une vulnérabilité sociale accrue et le sentiment d’une éviction comme sujet politique avaient rendu le « non » possible face à une construction européenne représentée dans sa dimension de libéralisation économique à outrance, et en raison de l’évacuation de l’histoire longue et de sa dynamique géopolitique dans les discours. Face également à la formation d’un ensemble politique hétérogène aux frontières floues, si opposé à la représentation française d’un Etat-nation unitaire aux limites politiques claires et stables. Aux Pays-Bas, autre Etat fondateur de la CEE et grand bénéficiaire du libre-échange, les réticences de l’électorat étaient liées à la crainte d’un

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risque de dilution de l’identité nationale en raison d’élargissements non maîtrisés, à la crise de la tolérance traditionnelle de sa société à l’endroit des communautés immigrées, et au refus d’une dépossession d’attributs de souveraineté incarnée par le terme même de Constitution.

Les interrogations des opinions des deux pays du « non » sont partagées par d’autres

S’il est vrai que dix-huit Etats ont ratifié le texte, dont deux par référendum

– Luxembourg et Espagne –, sept autres réservent leur position. La géographie de ce prudent silence signale des Etats dont la conception majoritaire est celle d’une Europe issue de l’Association européenne de libre-échange (AELE) (2) étendue du Portugal à la Suède, en passant par l’Irlande, le Royaume-Uni et le Danemark, et à laquelle se rattache la République tchèque de M. Vaclav Klaus. Celui-ci ne cache pas sa préférence pour une simple « Organisation des Etats européens » à la place d’une Union aux pouvoirs jugés trop étendus. Le cas polonais est spécifique, marqué par une sorte de repli souverainiste et populiste d’une partie de l’élite – au rebours de l’adhésion croissante des Polonais à l’Union, y compris des agriculteurs –, l’attachement au système très avantageux du traité de Nice sur les droits de vote (3), et une relation difficile avec le voisin allemand. La prochaine installation, en Pologne et en République tchèque, de systèmes d’interception antibalistiques américains va alourdir les contentieux entre ces deux pays et d’autres, Allemagne en tête, sur le type de relation stratégique qu’il conviendrait de nouer avec la Russie.

Il reste que les interrogations des opinions publiques des deux pays du « non » sont partagées par d’autres (4). Après tout, si un Etat fondateur et inspirateur du projet européen, comme la France, s’est exprimé de la sorte en 2005, c’est que quelque chose ne va plus, dit-on à Lisbonne comme à La Haye. Beaucoup de responsables politiques attachent autant d’importance aux questions de coordination des politiques économiques dans la zone euro, aux mécanismes permettant de réduire l’insécurité économique, au respect des identités nationales – impliquant la fin de la fuite en avant de l’élargissement – qu’aux affaires institutionnelles.

Deux visions contrastées se dessinent. L’une, constatant que l’Union continue de fonctionner, même a minima, tend à sous-estimer les enjeux institutionnels, à privilégier les initiatives communes dans un nombre limité de domaines, à envisager l’Union comme une simple étape intermédiaire vers un monde globalisé – entre la nation et le vaste monde, il n’y aurait rien de pertinent, estime pour l’instant M. Gordon Brown ; mais, une fois devenu premier ministre britannique à l’été 2007, l’homme pourrait infléchir sa position – et à œuvrer pour une extension continue de l’organisation européenne. C’est, à quelques nuances près, la position centrale des Etats restés silencieux sur le projet de traité. L’autre vision considère l’Union comme une communauté politique aux limites clarifiées, devant disposer d’institutions stables et efficaces, et capable d’agir en format restreint, d’organiser la solidarité entre ses membres et d’adopter une politique extérieure plus active et plus autonome : Allemagne et France, Espagne et Italie, Belgique et Luxembourg, sans doute aussi la Pologne pour l’aspect de la sécurité.

Ce second ensemble d’Etats est toutefois en désaccord sur les suites à donner. L’Allemagne reste d’autant plus attachée à un nouveau texte institutionnel que sa structure fédérale implique, comme dans l’Espagne décentralisée et la Belgique toujours plus fédéralisée, une claire répartition des compétences. Par ailleurs, son poids démographique (lui donnant droit à quatre-vingt-dix-neuf députés, contre quatre-vingt-sept à la France, à l’Italie et au Royaume-Uni) en fait un acteur majeur dans les deux grands partis – socialdémocrate (PSE) et conservateur (PPE) – au Parlement européen qui, si les dispositions institutionnelles du traité rejeté en 2005 devaient être reprises telles quelles dans un nouveau texte, désigneraient le prochain président de la Commission en 2009. Au Conseil, l’Allemagne accroîtrait de manière significative son poids en termes de droits de vote, passant de 11 %, selon le traité de Nice, à près de 17 %. En France, en revanche, l’objectif de

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réconciliation des partisans du « oui » et du « non » sur des objectifs européens renouvelés ne conduit pas à placer le débat institutionnel en tête des priorités.

Pour un débat de fond n’occultant plus les divergences entre les Etats et les forces politiques et syndicales

Une idée chemine, qui a les faveurs des libéraux belges et luxembourgeois, comme des courants d’inspiration centre-gauche (Italie) ou sociale-démocrate (France) : celle d’un engagement plus actif des gouvernements de la zone euro dans la coordination économique et dans les politiques de soutien effectif à la croissance. Au-delà des incantations sur la « gouvernance » économique européenne, il s’agirait concrètement de prendre des décisions concertées entre le groupe des ministres des finances des treize pays de la zone euro (l’Eurogroupe) et la Banque centrale européenne (BCE) sur la « zone grise » de la politique de change à l’égard, notamment, des monnaies asiatiques. Il s’agirait aussi de s’accorder sur des politiques fiscales mieux harmonisées et, pourquoi pas, de doter la zone euro d’un ministre de l’économie, comme cela était envisagé dans le projet de traité constitutionnel pour le domaine des affaires étrangères.

Il est enfin admis que les politiques communes doivent être rénovées et élargies : politique agricole plus orientée vers l’écologie ; stratégie concertée de sécurité énergétique

– faute de pouvoir atteindre une indépendance illusoire ; soutien accru à la mobilité des chercheurs, des étudiants et des apprentis, et aux programmes de recherche ; politique de gestion « circulaire » des flux migratoires favorisant la mobilité plutôt que la migration définitive ou son refoulement sous-traité aux Etats périphériques. Tout cela ne passe pas par un nouveau texte constitutionnel, mais par un débat de fond n’occultant plus les désaccords ou les divergences entre Etats membres et forces politiques et syndicales. La réalité, depuis 2005, est que, dans les réunions officielles de l’Union élargie, il n’y a plus de débat sur les objectifs communs ; les séances sont de plus en plus courtes (deux heures et demie pour le Conseil européen de décembre 2006) et les délégations n’interviennent, sur un ordre du jour balisé à l’avance, que lorsqu’elles ont des points de vue nationaux à faire valoir.

Lors du Conseil européen de juin 2007, la présidence allemande pourra-t-elle conclure les consultations avec chacun des vingt-six autres Etats membres avec un accord de base et un calendrier clair ? Les positions des Vingt-Sept semblent s’être rapprochées depuis le 25 mars : une nouvelle ratification par tous n’est plus écartée ; le projet initial reste la base de départ, même pour la Pologne ; le Parlement européen plaide pour le maintien de la Charte des droits fondamentaux (partie II du traité) et des ajouts significatifs : dimension sociale, climat, zone euro, sécurité énergétique. L’avenir est en partie lié au résultat de l’élection présidentielle en France (5).

Au-delà des objectifs économiques et sociaux, on voit bien que le projet européen a besoin d’être actualisé. A l’échelle continentale des cinquante premières années, il convient d’ajouter l’échelle planétaire où se déploient aussi des forces pesant sur la vie des Européens. Dans ce nouveau contexte, qui n’était pas celui de 1957, il devient indispensable, via des débats publics et des propositions formalisées, d’expliciter les « intérêts européens (6) ». Le terme n’apparaît que deux fois dans le document relatif à la stratégie européenne de sécurité présenté en décembre 2003 par M. Javier Solana, haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, à propos de la « gouvernance » des pays du voisinage de l’Union. Il est absent du rapport annuel d’activité de la Commission, y compris dans le chapitre traitant de l’Europe comme partenaire mondial.

Cette discrétion, voire cette inhibition, est probablement liée au fait que la défense des intérêts stratégiques européens a été prise en charge, dès l’origine, par l’allié américain dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan). Il est pourtant illusoire d’espérer préserver l’Etat social et le mode de vie européens (« Artleben », dit Mme Angela Merkel) sans que les Etats de l’Union élaborent, de manière autonome, leur

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propre vision du monde de façon à peser sur son évolution dans un sens civilisé et solidaire

(7). Dans un monde polycentrique, où l’existence de plusieurs puissances ne garantit pas leur coopération, et où l’Occident n’aura plus la capacité de dicter l’agenda international comme il l’a fait depuis la fin du XVIIIe siècle, l’intérêt européen est de favoriser les pratiques multilatérales, sur la base de sa propre expérience demi-séculaire de décisions concertées, qui fonde sa légitimité. Ceci ne concerne pas seulement les négociations commerciales, mais aussi d’autres domaines, comme la régulation et le développement durable, où l’Union devrait faire œuvre pionnière.

Enfin, s’il est aisé à chacun, cinquante ans plus tard, de se référer à une chronologie désormais bien connue, il reste difficile de se repérer dans l’espace. Une histoire mieux connue pour une géographie incertaine. Encore que des progrès restent à accomplir pour connaître l’histoire singulière des autres nations européennes. Comment prétendre à l’unité et à la réconciliation s’il l’on ignore l’histoire des autres ? Il aura fallu près de soixante ans – et l’impulsion personnelle du président français et du chancelier allemand – pour que le premier manuel franco-allemand voie le jour, et dont la rédaction n’a d’ailleurs pas posé de problèmes majeurs d’interprétation aux deux équipes d’historiens (sauf sur l’appréciation respective du rôle des Etats-Unis, plus favorable du côté allemand).

Rappelons que plus de la moitié des Etats membres n’ont pas encore d’ambassades chez les vingt-six autres. Dans un monde marqué par la prévalence des représentations, comment imaginer que des citoyens puissent s’approprier un projet démocratique dont ils évacueraient les histoires nationales singulières, et dont ils ne peuvent pas identifier le territoire puisque, en raison de sa fluidité, le sujet reste tabou ? Voilà une raison, parmi tant d’autres, de traiter sérieusement, avec la volonté de conclure, la question toujours repoussée par les politiques (ou traitée de manière culturaliste) des « frontières ».

Seuls les Etats-Unis ont une idée stratégique claire des limites ultimes de l’Union

Les seuls qui semblent avoir une idée stratégique claire des limites ultimes de l’Union sont les administrations américaines successives : vue de Washington, l’Union doit englober à terme l’ensemble des quarante-six Etats membres du Conseil de l’Europe

– seule instance à avoir défini son périmètre géographique en 1995 –, sauf un : la Russie. Dans cette optique, l’Union constitue le volet civil et financier d’un ensemble politicostratégique, l’OTAN, elle-même en extension territoriale. Ce scénario au fil de l’eau obéit en réalité à une stratégie américaine de refoulement de la Russie. Elle n’est pas sans risques, comme on le voit en Ukraine, en Moldavie et dans les Etats du Caucase du Sud.

Un autre scénario, géopolitique et conforme aux intérêts autonomes européens, consiste à cesser de confondre en permanence, dans les discours et les représentations, l’« Europe », entendue comme catégorie socio-historique de longue durée, et l’Europe instituée sous la forme de l’Union européenne, association volontaire d’Etats démocratiques, ayant toute légitimité pour décider de ses limites, même de manière temporaire (8), pour une ou deux décennies. Stabilisation des limites combinée avec une stratégie plus efficace de rapprochement avec les Etats voisins, notamment en facilitant la circulation et la formation : il convient de sortir du tout ou rien de l’adhésion.

Dans ce schéma, deux problèmes demeurent : dans les Balkans occidentaux, où la fragmentation géopolitique se poursuit, il n’est pas certain que l’offre d’adhésion remédie aux déficits de la construction stato-nationale et aux impératifs d’un accord sur les frontières dans ces Etats encore peu viables. Avant d’être un Etat membre, ne convient-il pas d’abord d’être un Etat en mesure de nouer des relations normales avec son voisinage ? Avec la Turquie, les négociations se poursuivent, c’est un fait. La motivation principale en est la peur réciproque de perdre l’autre. Dans l’immédiat, il est réaliste de pointer une ambiguïté politique majeure : les négociations avec Bruxelles sont conduites par un gouvernement AKP [Parti de la justice et du développement], islamo-conservateur qui les utilise pour affaiblir le pouvoir militaire, lui-même garant d’une laïcité en société musulmane qui est le premier argument justifiant l’option d’une adhésion. Il est donc sage

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de laisser les discussions se poursuivre, sans drame ni invectives ; au terme du parcours, il sera temps, pour la Turquie, de décider si elle consent aux importants transferts de souveraineté qu’implique l’appartenance à l’Union.

Si sont clarifiées les frontières de l’organisation européenne et leur articulation avec le continent et les régions des rives méditerranéennes, si sont repensés et explicités les finalités et les objectifs de cet ensemble européen immergé dans le monde tel qu’il a l’inconvénient d’être, si les choix et options de l’économie et de l’action extérieure sont énoncés clairement par les gouvernants, dont ce devrait être la tâche première, et débattus avant les échéances de 2009, alors les Européens, notamment les Français, pourraient se vivre de nouveau comme sujets politiques d’un projet géopolitique partagé.

(1)Alain Mergier, Le Jour où la France a dit non. Comprendre le référendum du 29 mai 2005, Fondation Jean-Jaurès - Plon, Paris, 2005.

(2)A l’initiative de Londres, l’Association européenne de libre-échange (AELE) avait été instituée par le traité de Stockholm du 20 novembre 1959 pour faire contrepoids à la CEE créée deux ans plus tôt. Six de ses membres ont progressivement rejoint la CEE (devenue Union européenne en novembre 1993) : RoyaumeUni et Danemark en 1973 ; Portugal en 1986 ; Autriche, Finlande et Suède en 1995. L’AELE ne compte plus aujourd’hui que quatre membres : l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse.

(3)Selon le traité de Nice, actuellement en vigueur, l’Espagne et la Pologne disposent de vingt-sept voix dans les votes au Conseil, ce qui constitue une surreprésentation par rapport à leur poids démographique puisque l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni disposent de vingt-neuf voix.

(4)Cf. « L’Union européenne un demi-siècle plus tard : état des lieux et scénarios de relance », note n° 37 de la Fondation Robert Schuman, Paris, novembre 2006.

(5)Lire Bernard Cassen, « Une présidentielle loin du monde », Le Monde diplomatique, avril 2007.

(6)Michel Foucher, « Les intérêts communs des Européens », dans Thierry Chopin et Michel Foucher (sous la dir. de), L’Etat de l’Union. Rapport Schuman 2007 sur l’Europe, Fondation Robert Schuman - Lignes de repères, Paris, 2007.

(7)Un seul exemple : pourquoi ne pas généraliser les clauses sociales dans les accords commerciaux de l’Union avec les pays tiers ? Cf. « Un nouvel élan pour une Europe sociale », texte proposé par huit ministres du travail (Belgique, Bulgarie, Grèce, Espagne, France, Italie, Chypre, Hongrie) le 14 février 2007.

(8)« L’Union politique européenne : un territoire, des frontières, des horizons », Esprit, Paris, novembre 2006.

par Michel Foucher, Géographe, ancien directeur du Centre d’analyse et de prévision du ministère des affaires étrangères, ambassadeur de France en Lettonie (2002-2006),

© Le Monde diplomatique, édition de mai 2007

Document 4 :

Contraintes de la géographie, malentendus de la politique

Nécessaire partenariat avec la Russie

En particulier sous l’influence de ses nouveaux membres, l’Union européenne, certes avec des hauts et des bas, persiste à traiter la Russie comme l’Union soviétique. L’histoire, la géographie et les intérêts communs devraient pourtant conduire les deux géants continentaux à conclure une « belle et bonne alliance » comme le disait de Gaulle.

Comme prévu, le sommet Union européenne-Russie de novembre à Helsinki a été un échec, mais il a le mérite d’obliger les partenaires à redéfinir leurs relations, qui avaient commencé à se dégrader à la fin de 2003, alors que l’élargissement de l’Union à dix partenaires se précisait sans que soient résolus une série de problèmes pourtant identifiés depuis 1999. Les textes des communiqués communs, laborieusement rédigés, ont permis de sauver la face ; mais, cette fois, alors que l’Union est obsédée par la peur de « laisser Poutine la diviser », la cause de l’échec se situe en son sein.

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