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Emile Zola (1840-1902)

Fils d’un ingénieur italien fixé à Marseille, Emile Zola fit ses études au collège d’Aix, puis au lycée Saint-Louis, à Paris. Après un échec au baccalauréat, il entre à la librairie Hachette pour ficeler des paquets, se fait remarquer par son intélligence et se voit confier le service de la publicité. Cet emploi lui permet d’écrire et de rencontrer des écrivains. En 1864, Zola publia son premier livre – « Contes à Ninon » - et quatre ans plus tard, « Thérèse Raquin ». Peu après, la lecture d’ouvrages de médecine lui inspira l’armature « scientifique » de ce qui allait devenir l’  « Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire » : les « Rougon-Maccart », qui ne comprendra pas moins de vingt volumes dont les plus célèbres sont : « La Faute de l’abbé Mouret » (1875), « L’Assommoir » (1977), « Nana » (1879 », « Germinal » (1885 ). C’est avec « L’Assommoir » que Zola connut le premier succès. Succès de scandale d’abord, mais aussi succès auprès du public populaire.

Autour de Zola se groupent alors les écrivains de l’école naturaliste : ils se réunissent dans sa villa de Medan. Pour exposer sa doctrine, Zola donne « Le Roman expérimental » (1880), « Le Naturalisme au théâtre » (1881), « Les Romanciers Naturalistes » (1881). Désormais chacun de ses livres est un événement littéraire.

Mais un événement extérieur viendra interrompre ses derniers travaux : l’affaire Dreyfus dans laquelle le romancier se jettera généreusement. Zola organisa une vaste campagne de presse dont l’élément le plus préstigieux reste son propre article « J’accuse » (1898). Emile Zola mourut prématurément d’une asphyxie accidentelle.

La famine

Depuis deux jours, la neige tombait ; elle avait cessé le matin, une gelée intense glaçait l’immense nappe ; et ce pays noir, aux routes d’encre, aux murs et aux arbres poudrés de poussières de la bouille, était tout blanc, d’une blancheur unique, à l’infini. Sous la neige, le coron des Deux-Cent-Quarante gisait, comme disparu. Pas une fumée ne sortait des toitures. Les maisons sans feu, aussi froides que les pierres des chemins, ne fondaient pas l’épaisse couche des tuiles. Ce n’était plus qu’une carrière de dalles blanches, dans la plaine blanche, une vision de village mort, drapé dans son linceul. Le long des rues, les patrouilles qui passaient avaient seules laissé le gâchis boueux de leur piétinement.

Chez les Maheu, la dernière pelletée d’escarbilles était brûlée depuis la veille ; et il ne fallait plus songer à la glane sur le terri, par ce terrible temps, lorsque les moineaux eux-mêmes ne trouvaient pas un brin d’herbe. Alzire, pour s’être entêtée, ses pauvres mains fouillant la neige, se mourait. La Maheude avait dû l’envelopper dans un lambeau de couverture, en attendant le docteur Vanderhaghen, chez qui elle était allée deux fois déjà, sans pouvoir le rencontrer ; la bonne venait cependant de promettre que Monsieur passerait au coron avant la nuit, et la mère guettait, debout devant la fenêtre, tandis que la petite malade, qui avait voulu descendre, grelottait sur une chaise, avec l’illusion qu’il faisait meilleur là, près du fourneau refroidi. Le vieux Bonnemort, en face, les jambes reprises, semblait dormir. Ni Lénore ni Henri n’étaient rentrés, battant les routes en compagnie de Jeanlin, pour demander des sous. Au travers de la pièce nue, Maheu seul marchait pesamment, butant à chaque tour contre le mur, de l’air stupide d’un bête qui ne voit plus sa cage. Le pétrole aussi était fini ; mais le reflet de la neige, au-dehors, restait si blanc, qu’il éclairait vaguement la pièce, malgré la nuit tombée.

[...] La rue redevint déserte, pas un ombre ne tachait la blancheur nue de la neige ; et le coron, retombé à son immobilité de mort, crevait de faim sous le froid intense.

  • Et le médecin ? demanda Maheu, en refermant la porte.

  • Pas venu, répondit la Maheude, toujours debout devant la fenêtre.

  • Les petits sont rentrés ?

  • Non, pas rentrés.

Maheu reprit sa marche lourde, d’un mur à l’autre, de son air de boeuf assommé. Raidi sur sa chaise, le père Bonnemort n’avait pas même levé la tête. Alzire non plus ne disait rien, tâchant de ne pas trembler, pour leur éviter de la peine ; mais, malgré son courage à souffrir, elle tremblait si fort par moments, qu’on entendait contre la couverture le frisson de son maigre corps de fillette infirme ; pendant que, de ses grands yeux ouverts, elle regardait au plafond le pâle reflet des jardins tout blancs, qui éclairait la pièce d’une lueur de lune.

C’était, maintenant, l’agonie dernière, la maison vidée, tombée au dénuement final. Les toiles des matelas avaient suivi la laine chez la brocanteuse ; puis les draps étaient partis, le linge, tout ce qui pouvait se vendre. Un soir, on avait vendu deux sous un mouchoir du grand-père. Des larmes coulaient, à chaque objet du pauvre ménage dont il fallait se séparer, et la mère se lamentait encore d’avoir emporté un jour, dans sa jupe, la boîte de carton rose, l’ancien cadeau de son homme, comme on emporterait un enfant, pour s’en débarrasser sous une porte. Ils étaient nus, ils n’avaient plus à vendre que leur peau, si entamée, si compromise, que personne n’en aurait donné un liard. Aussi ne prenaient-ils même pas la peine de chercher, ils savaient qu’il n’y avait rien, que c’était la fin de tout, qu’ils ne devaient espérer ni une chandelle, ni un morceau de charbon, ni une pomme de terre ; et ils s’attendaient d’en mourir, ils ne se fâchaient que pour les enfants, car cette cruauté inutile les révoltait, d’avoir fichu une maladie à la petite, avant de l’étrangler.

-Enfin, le voilà ! dit la Maheude.

Une forme noire passait devant la fenêtre. La porte s’ouvrit. Mais ce n’était point le docteur Vanderhaghen, ils reconnurent le nouveau curé, l’abbé Ranvier, qui ne parut pas surpris de tomber dans cette maison morte, sans lumière, sans feu, sans pain. [...]

-Pourquoi n’êtes-vous pas venus à la messe dimanche, mes enfants ? Vous avez tort, l’Eglise seule peut vous sauver... Voyons, promettez-moi de venir dimanche prochain.

Maheu, après l’avoir regardé, s’était remis en marche, pesamment, sans une parole. Ce fut la Maheude qui répondit.

-A la messe, monsieur le curé, pour quoi faire ? Est-ce que le bon Dieu ne se moque pas de nous ? ... Tenez ! qu’est-ce que lui a fait ma petite, qui est là, à trembler de fièvre ? Nous n’avions pas assez de misère, n’est-ce pas ? il fallait qu’il me la rendît malade, lorsque je ne puis seulement lui donner une tasse de tisane chaude.

Alors, debout, le prêtre parla longuement. Il exploitait la grève, cette misère affreuse, cette rancune exaspérée de la faim, avec l’ardeur d’un missionnaire qui prêche des sauvages, pour la gloire de sa religion. Il disait que l’Eglise était avec les pauvres, qu’elle ferait un jour triompher la justice, en appelant la colère de Dieu sur les iniquités des riches. [...] Mais, si les ouvriers voulaient le juste partage des biens de la terre, ils devaient s’en remettre tout de suite aux mains de prêtres, comme à la mort de Jesus les petits et les humbles s’étaient groupés autour des apôtres. Quelle force aurait le pape, de quelle armée disposerait le clergé, lorsqu’il commanderait à la foule innombrable des travailleurs ! En une semaine, on purgerait le monde des méchants, on chasserait les maîtres indignes, ce serait enfin le vrai règne de Dieu, chacun récompensé selon ses mérites, la loi du travail réglant le bonheur universel. [...]

-Il n’y a pas besoin de tant de paroles, grogna brusquement Maheu, vous auriez mieux fait de commencer par nous apporter un pain.

-Venez dimanche à la messe, s’écria le prêtre, Dieu pourvoira à tout !

Et il s’en alla, il entra catéchiser les Levaque à leur tour...

[...] Alors, l’angoisse grandit encore, dans la pièce noire. Les mioches rentraient avec la faim, ils voulaient manger, pourquoi ne mangeait-on pas ? [...] Puis comme ils criaient plus fort en demandant du pain, elle [la Maheude] fondit en larmes, tomba assise sur le carreau, les saisit d’une seule étreinte, eux et la petite infirme ; et, longuement, ses pleurs coulèrent, dans une détente nerveuse qui la laissait molle, anéantie, bégayant à vingt reprises la même phrase, appelant la mort : « Mon Dieu, pourquoi ne nous prenez-vous pas ? mon Dieu, prenez-nous par pitié, pour en finir ! »

D’après Emile Zola, « Germinal »

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